La coopération au développement : pour qui ?

DSC07622copia

L’histoire de l’âne et de la carotte
Un homme blanc, président d’une ONG, coopérateur.
L’homme blanc finance l’achat d’un âne pour l’ONG de femmes africaines. L’homme blanc, politicien dans son propre pays, est fier de son financement. Il vient au Burkina. Il se rend de la capitale à la périphérie de la ville, où l’âne vit paisiblement dans un camp. En se rendant à l’endroit où vit l’âne, il voit, sur le bord de la route, une rangée d’étals de marché et des femmes qui vendent les légumes qu’elles ont cultivés. Le président demande au chauffeur d’arrêter le 4×4 et de s’arrêter devant les cabines des femmes. Il s’approche d’une agricultrice qui vend des carottes. Elle achète un bouquet de belles carottes. « Pour mon âne », dit-elle au chauffeur. Lorsqu’il arrive sur la parcelle où vit l’âne, sans écouter les supplications du président de l’ONG locale qui tente de le dissuader, il s’approche de l’âne et lui tend des carottes qu’il fourre dans sa bouche, sous le regard étonné des agricultrices qui arrosent les salades sur la même parcelle.  » Pourquoi, demande le président, coordinateur de l’ONG locale, lui avez-vous donné des carottes à manger ? « . Parce que, a répondu le Président, c’est « mon » âne, je l’ai « financé »… ! » SIC ! « Comment est-il possible de donner des carottes à l’âne alors que ce sont des aliments précieux et rares pour les pauvres agricultrices locales ? »

L’histoire du caca par terre
Un homme blanc, président d’une ONG, coopère.
L’homme blanc finance l’achat d’un terrain pour l’ONG de femmes africaines. L’homme blanc est fier de son financement. Il vient au Burkina. Il se rend dans le village où se trouve la parcelle de terrain qu’il a financée. Il entre par le portail et se promène parmi les planches de différents légumes cultivés. Ensuite, il se dirige vers le puits profond pour l’eau potable. Il remarque sur le sol, parmi les arbustes, éparpillés ici et là, les excréments des chèvres et de l’âne qui paissent aux alentours. Il se plaint au coordinateur de l’ONG locale que le sol « est sale », « plein de merde d’animaux ». « Pourquoi », dit-elle, « tu ne le gardes pas propre » ? Elle se tourne alors vers l’agriculteur qui est responsable des animaux et qui vit sur les terres en tant que gardien. L’agriculteur, qui connaît l’importance des déjections animales pour enrichir le sol et lui rendre son humus, est déconcerté, incrédule, et se sent incapable de répondre, pris entre deux feux : la nécessité d’enrichir la terre et celle de ne pas décevoir « son » important président donateur. Le coordinateur de l’ONG locale a rapporté que l’agriculteur avait presque les larmes aux yeux. « Pourquoi, a demandé le coordinateur de l’ONG au président, voulez-vous que la terre soit « propre » ? Parce que c’est « mon » terrain, je l’ai « financé »… ! SIC ! Moralité : souvent, plutôt que de favoriser le développement d’un projet financé au profit des communautés locales, il est plus gratifiant pour le coopérateur de « cultiver son propre ego », d’habiller son narcissisme sous les traits de l’altruisme.

Ouaga, gennaio 2015

Franco Losa